Le terme « vacances » est bien souvent réduit au simple arrêt de l’activité de travail ou à la période d’inactivité se situant entre deux périodes d’activité fonctionnelle et productive. Ne disons-nous pas que « pendant les vacances, on oublie le travail » ? Les « vacances » sont ainsi devenues pour la majorité d’entre nous comme une parenthèse bien nécessaire visant à régénérer nos forces, à recharger les batteries en vue de pouvoir ensuite retravailler mieux et plus efficacement.
Dans une société où l’efficacité et la performance sont les critères pour déterminer la valeur d’un individu, assez naturellement le travail devient l’activité principale d’une vie tandis que le loisir n’apparaît plus que comme une « parenthèse » entre deux temps de travail. En ayant confondu la réussite de l’existence avec la performance et en ayant identifié dans le travail sa valeur la plus importante, on a fini par penser qu’on ne travaille plus pour obtenir le loisir, mais qu’on obtient le loisir en vue de pouvoir mieux travailler. Sous-jacente à ce renversement de valeurs se tient aussi l’idée que l’homme, soumis à un rythme élevé d’efforts, ne peut pas « travailler tout le temps » et qu’il a donc besoin d’un temps de « vacances » pour reprendre vigueur. Les loisirs, associés à ce temps de « vacances », deviennent ainsi la condition pour pouvoir travailler davantage et mieux. C’est donc essentiellement une modification du sens et du rythme du travail qui a détourné loisirs et vacances de leur véritable signification.
On est tombé dans le travers de considérer que la seule activité humaine digne de ce nom est celle qui est « fonctionnelle » et (économiquement) rentable. Celle-ci doit donc être imposée à tous comme la seule qui compte – et la seule apte à offrir rémunération et reconnaissance sociale. Toute autre activité doit donc être mise en sourdine et considérée comme purement récréative. En coupant ainsi tout être humain de la partie « ludique » de lui-même, la société a progressivement contribué à sa propre déshumanisation – et à la déshumanisation du travail.
Ayant ainsi perdu son rapport à la vie, le temps des « loisirs » devient alors une sorte de parenthèse de vide dans le sérieux d’une existence faite d’activités fonctionnelles, performantes et rentables. Et pourtant, il est très important de revisiter notre manière de penser aux loisirs, en les valorisant non comme des moments utiles à « vider notre esprit » du poids du travail, mais comme des moments où, à travers le silence et la suspension de toute activité fonctionnelle, on peut se laisser imprégner parla réalité et rester à son écoute en vue d’appréhender commen tbien vivre.
Si donc nous avons besoin de loisirs, ce n’est pas tant parce que nous avons besoin de refaire nos forces entre deux périodes de travail acharné, mais parce que nous sommes des êtres humains et que, dans notre humanité, nous avons besoin de nous adonner à d’autres activités que celles qui sont fonctionnelles et productives, afin de contempler le monde dans son ensemble et de voir au-delà de la place que la fonction sociale nous accorde. Le fait de pouvoir se livrer à quelques activités libres n’ayant d’autre finalité que la mise en valeur de cette écoute de la réalité est bénéfique au développement du « cœur » et de « l’intelligence » de tout être humain. Et c’est précisément ce bénéfice qui peut former des citoyens capables de construire une société à mesure d’homme, dans laquelle toute activité, économique ou ludique, sera prise à sa juste valeur et assurera ainsi une croissance aussi saine que rentable. C’est en ce sens que les loisirs et le temps de « vacances » deviennent des moments-clés pour penser la société de demain.
Bonnes vacances ! Heureux loisirs !
Carlos de la Joie, Curé